Institut des Hautes Etudes de l'Amérique latine
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Édito

Équateur : élection présidentielle de 2025, perspectives historiques sur la victoire de la droite

Nils Breton Chercheur-doctorant CREDA-UMR 7227 / USN-ED 122

Le second tour de l’élection présidentielle équatorienne s’est tenu le 13 avril 2025. Le président sortant, Daniel Noboa, candidat du parti Action Démocratique Nationale (ADN), l’a emporté avec 55,6 % des voix. Cette victoire marque la troisième défaite consécutive de la gauche à la présidentielle depuis 2021. Ces résultats s’expliquent par une incapacité de la gauche corréiste à dépasser sa base électorale et par l’habileté du candidat d’ADN à agréger le reste des électeurs.

La défaite de la gauche corréiste

Les causes de l’échec de Luisa Gonzalez, candidate de la Révolution Citoyenne (RC), sont évidemment multifactorielles. Certaines propositions, comme la création de comités de quartier pour lutter contre l’insécurité ou une réforme de la loi sur la liberté de culte, ont inquiété une partie de l’électorat. Par ailleurs, son adversaire a exploité les inquiétudes autour de son engagement à maintenir le dollar comme monnaie nationale, un sujet central en Équateur, ou de sa proximité avec le gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela, un épouvantail pour la droite équatorienne[1]. Luisa Gonzalez n’a ainsi gagné que 170 000 voix supplémentaires au second tour, contre 1,3 million pour Daniel Noboa.

Malgré cette défaite, la RC reste la première force politique à l’Assemblée nationale, avec 67 sièges sur 151 (44 %) et domine les institutions locales depuis les élections de 2023 (9 provinces sur 23 et 50 municipalités sur 221). Cependant, les résultats du 13 avril montrent son incapacité de réunir une majorité d’Équatoriens·nes derrière son projet politique à l’échelle nationale. Les onze années de pouvoir de la RC continuent d’être associées par une partie de l’électorat à la répression des mouvements indigènes et écologistes, un contrôle plus strict des médias, ainsi qu’à des scandales de corruption. Luisa Gonzalez a eu du mal à se démarquer de son mentor politique : l’ancien président Rafael Correa (2006-2017), qui huit ans après la fin de son mandat, semble encore faire figure de repoussoir pour une partie de l’électorat équatorien. Ces ombres éclipsent ses réussites : des infrastructures modernisées dans les domaines des transports, de l’éducation et de la santé, une croissance économique soutenue et la baisse de la pauvreté et de la criminalité.

Ce passé perçu négativement peut en partie expliquer la contre performance de la candidate de la RC. En effet, à la sortie du premier tour, elle est en position favorable, distancée d'à peine 17 000 voix, elle reçoit le soutien du troisième homme, Leonidas Iza qui vient réunir sur son nom 540 000 électeurs (5,25%). Cet ingénieur-environnemental et leader syndical quichua-panzaleo est le candidat de Pachakutik (MUPP), le principal parti indigène équatorien, il est considéré comme à gauche de la RC et en pointe dans les luttes contre les politiques néolibérales et extractivistes. Or les reports de voix au deuxième tour sont très mauvais[2]. Sur les trois provinces où Iza a fait ses meilleurs scores en voix (Pichincha, Cotopaxi et Chimborazo) au premier tour, environ 277 000 voix, Luisa Gonzalez n’augmente son score que de 67 000 voix au deuxième tour. L’électorat d’Iza n’a pas, dans sa grande majorité, suivi la consigne de vote. La RC paie, peut-être, ainsi sa vieille rupture avec le mouvement indigène[3] et écologique[4].

Face à elle, Daniel Noboa a réussi à agréger quasi l’intégralité des 1,2 millions de voix qui s’étaient portées sur les autres candidats, une grande partie des votes blancs et probablement même une petite partie des électeurs de premier tour de son adversaire[5]. Les chercheurs Javier Rodríguez et Simón Pachano montrent qu’il existe une partie non négligeable d’électeurs au vote fluctuant : ceux-ci hésiteraient entre les deux candidats[6] ou iraient voter selon une logique de vote négatif interchangeable[7]. Le président-candidat a été capable au deuxième tour de récupérer cet électorat au comportement changeant, notamment grâce à une présence massive sur les réseaux sociaux. Lors de la campagne, il a investi 1,5 millions de dollars pour sa propagande électorale en ligne face au 420 000 dollars de la RC[8]. La plateforme Tik-Tok constitue une de ses forces, où il arrive à s’attirer de la sympathie par une communication détendue et de proximité[9]. Séduire les 16-40 ans, qui représentent 54% des électeurs[10], a été une des stratégies de Daniel Noboa, qui lui-même joue sur sa jeunesse, étant le deuxième président le plus jeune de l’histoire équatorienne[11].

Une victoire électorale du Président Noboa qui ne résout ni les défis structurels ni inquiétudes démocratiques dans un pays en crise

Daniel Noboa est l’héritier d’une puissante dynastie politico-économique. Son grand-père, Luis Noboa (1916-1994), a fondé un conglomérat agro-exportateur, développé ensuite par son père, Alvaro Noboa, figure politique ayant tenté cinq fois la présidentielle, entre 1998 et 2013, sans succès, malgré trois présences au second tour. Le groupe familial possède aujourd’hui plus de 1,3 milliard de dollars d’actifs et génère 600 millions de dollars de revenus annuels[12].

L’arrivée au pouvoir de Daniel Noboa en 2023 s’est faite sur fond de crise sécuritaire majeure : des mutineries meurtrières dans les prisons, une explosion des homicides liés au narcotrafic (multipliés par huit entre 2016 et 2023) et l’assassinat du candidat Fernando Villavicencio 11 jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Durant ses 18 premiers mois de mandat, Noboa s’est inscrit dans une ligne à la fois néo-libérale et autoritaire. Il a flexibilisé le marché du travail, réduit les droits de douane, augmenté la TVA de trois points, tout en lançant une politique sécuritaire inspirée du président salvadorien Nayib Bukele : recours à l’armée, arrestations de masse, états d’exception à répétition et construction d’une méga-prison[13]. Pourtant, les résultats restent mitigés : le pays est en récession (-2% du PIB en 2024)[14] et le premier trimestre 2025 a été le plus violent de l’histoire équatorienne (2 361 homicides)[15].

Autre source d’inquiétude, le président Noboa semble peu enclin au respect des normes constitutionnelles, internationales ou légales. Il a tout fait pour exclure sa vice-présidente qui refusait de démissionner[16], il n’a pas respecté les lois sur l’utilisation des ressources gouvernementales lors des campagnes électorales[17], a violé les normes du droit international public sur les immunités dont bénéficient les installations diplomatiques en faisant arrêter l’ancien vice-président Glas au sein de l’ambassade du Mexique, où il venait d’obtenir l’asile[18] et continue d’exploiter le pétrole du parc Yasuni malgré qu’un référendum et une décision de la cour constitutionnelle l’interdisent[19]. Or, l’une de ses propositions consiste à convoquer une assemblée constituante pour rédiger une nouvelle constitution, faisant craindre, par la même, un recul démocratique, social et écologique par rapport à celle de 2008[20].

Cette élection présidentielle équatorienne de 2025, loin d’avoir clarifié l’avenir politique du pays, laisse au contraire planer de nombreux doutes. Les défis économiques, sociaux et sécuritaires demeurent immenses. Entre une gauche affaiblie par ses divisions et son passé et une droite autoritaire, l’Équateur est confronté à une des pires crises de son histoire contemporaine. Il reste à voir si le pays parviendra à mettre fin à l’explosion de la violence et retrouver une stabilité sociale, politique et économique durable.


[1] RIBADENEIRA Alejandro, « Los '7 pecados capitales' que le costaron la derrota a Luisa González en la segunda vuelta, más allá de la figura de Correa », Primicias, 14 avril 2025, URL : www.primicias.ec/elecciones/ecuador2025/presidenciales/segunda-vuelta-el... (site consulté le 20 avril 2025).

[2] RODRÍGUEZ SANDOVAL Javier, « ¿Cómo ganó Daniel Noboa la presidencia en 2025? », GK, 15 avril 2025, URL : https://gk.city/2025/04/15/como-gano-daniel-noboa-analisis-electores-pri... (site consulté le 24 avril 2025).

[3] NEIRA Mariana, «  Los indígenas y los correazos del Diablo », Plan V, 20 mars 2025, URL : https://planv.com.ec/historias/derechoshumanos/los-indigenas-y-los-corre... (consulté le 24 avril 2025).

[4]  THOMAS Frédéric, « Équateur : les gauches, l’extractivisme et la transition », Contretemps, 7 avril 2021, URL : www.contretemps.eu/equateur-gauche-extractivisme-transition/ (site consulté le 24 avril 2025).

[5] RODRÍGUEZ Javier, « ¿Cómo ganó…, op. cit.

[6] RODRÍGUEZ Javier, « Los votantes no están polarizados entre Noboa y González », GK, 26 décembre 2024, URL : https://gk.city/2024/12/19/analisis-cuantitativo-intencion-voto-noboa-go... (site consulté le 24 avril 2025).

[7] PACHANO Simón, « El voto negativo », El Universo, 7 avril 2025, URL : www.eluniverso.com/opinion/columnistas/el-voto-negativo-nota/ (site consulté le 24 avril 2025).

[8] REDACCIÓN PLAN V, « Elecciones 2025: esta fue la millonaria campaña en redes y de bots que se desplegó en Ecuador », Plan V, 23 avril 2025, URL :  https://planv.com.ec/historias/politica/elecciones-campana-redes-sociales/ (site consulté le 24 avril 2025).

[9] Ibid.

[10] NOBOA Adriana, « Millennials y centennials ya representan el 54% del padrón electoral », Primicias, 18 novembre 2022, URL : www.primicias.ec/noticias/seccionales-2023/millennials-centennials-padro... (site consulté le 27 avril 2025).

[11] SAMANIEGO Martha, « Daniel Noboa o Juan José Flores: ¿quién es el presidente más joven de la historia del Ecuador?, esto es lo que dicen los historiadores », El Universo, 18 octobre 2023, URL : www.eluniverso.com/noticias/politica/daniel-noboa-o-juan-jose-flores-qui... (site consulté le 27 avril 2025).

[12] REDACCIÓN PRIMICIAS, « Este es el emporio empresarial atrás del presidente Daniel Noboa », Primicias, 25 novembre 2023, URL : www.primicias.ec/noticias/economia/daniel-noboa-empresas-alvaro-noboa/ (site consulté le 20 avril 2025).

[13] GONZÁLEZ Mario, « Gobierno confirma la construcción de su segunda cárcel al 'estilo Bukele', en Archidona », Primicias, 27 novembre 2024, URL : www.primicias.ec/seguridad/daniel-noboa-segunda-carcel-archidona-confirm... (site consulté le 20 avril 2025).

[14] BANCO CENTRAL DEL ECUADOR, « Cuentas Nacionales Trimestrales : Resultatos cuarto semestre 2024 y anual 2024 (preliminar) », bce.fin.ec, Avril 2025, URL : https://contenido.bce.fin.ec/documentos/informacioneconomica/cuentasnaci... (site consulté le 20 avril 2025).

[15] GARCÍA Alexander, « El primer trimestre de 2025, el más violento de la historia reciente de Ecuador », Primicias, 21 avril 2025, URL : www.primicias.ec/seguridad/primer-trimestre-muertes-violentas-homicidios... (site consulté le 20 avril 2025).

[16] RUEDA Roberto, «  ¿Qué pasa en la Vicepresidencia en Ecuador? Estos son los seis momentos que explican la disputa por el cargo », Primicias, 8 janvier 2025, URL : www.primicias.ec/politica/disputa-vicepresidencia-ecuador-veronica-abad-... (site consulté le 24 avril 2025).

[17] AMA, « La CIDH condena incursión a la Embajada de México en Quito », DW, 16 avril 2024, URL : www.dw.com/es/la-cidh-condena-incursi%C3%B3n-a-la-embajada-de-m%C3%A9xic... (site consulté le 24 avril 2025).

[18] LEÓN Pamela, « El retorno del presidente candidato, explicado », GK, 5 décembre 2024, URL : https://gk.city/2024/06/11/el-retorno-del-presidente-candidato-explicado/ (site consulté le 24 avril 2025).

[19] OLMO Guillermo, « Por qué Ecuador sigue explotando petróleo en el Parque Yasuní un año después del histórico referendo en el que se votó a favor de prohibirlo », BBC News Mundo, 26 septembre 2024, URL : www.bbc.com/mundo/articles/cvgw4y122z4o (site consulté le 24 avril 2025).

[20] CARRIÓN Melania, « Una nueva Constituyente debe preocuparnos porque se pueden restringir derechos », Radio Pichincha Multimedia, URL : www.youtube.com/watch?v=swMpaqnIKHg&list=PLz4DFC6xbzAKZPhoImsUY9kCGkepz8... (site consulté le 20 avril 2025).

 

 

 

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